Il y a les jeux vidéo qui misent tout sur les prodiges graphiques, ceux qui vous entraînent vers les terrains compétitifs de l’e-sport ou bien ceux qui vous font cultiver des potagers virtuels sur l’écran de votre GSM. Et puis il y a le slow gaming. Une forme d’art digital hors du temps, entre puzzles poétiques et clins d’œil ludiques. Le belge Bart Bonte, l’un de ses plus brillants représentants, nous a accordé une interview exclusive.
Éloge de la lenteur
Ce sont des jeux sans kyrielle d’explosions, sans ribambelle d’effets sonores assourdissants, sans feu d’artifice constant de couleurs et sans surenchère visuelle. Décalés, souvent drôles ou émouvants, ces objets ludiques non-identifiés touchent de plus en plus un public pas forcément adepte des consoles et des manettes mais qui aime s’échapper dans des univers moins gourmands en temps et en stress. Le slow gaming est devenu une véritable niche – un peu secrète mais accessible à tous sur les plateformes mobiles – au nombre d’adeptes grandissant. Bart Bonte est à la fois concepteur de ce type de jeux – dont il crée le code, imagine les mécanismes, compose la musique et réalise le design graphique – mais aussi curateur des œuvres d’autres programmeurs – dont il présente le travail sur son blog.
Comment êtes-vous devenu concepteur de jeux indépendants ?
J’ai une formation d’ingénieur IT, j’ai longtemps travaillé en tant que consultant et pendant mon temps libre j’ai commencé à programmer des browsers games – des jeux directement jouable sur un navigateur internet. Ils étaient déjà très populaires il y a une quinzaine d’années, en raison de leur simplicité et de leur accessibilité. Ils permettent de rapidement mettre en place un concept, avec une esthétique souvent décalée. Au départ je n’avais pas une vision commerciale mais les demandes de sites web se sont multipliées et j’ai fait le grand saut pour devenir créateur de jeux à temps plein. Aujourd’hui je me consacre aux jeux sur mobile.
Vous ne pourriez pas produire les mêmes jeux au sein d’un grand studio ?
Le fait de travailler en indépendant, sans dépendre d’une plateforme ou d’une structure plus importante, me permet d’être totalement libre de mes choix créatifs. Je peux faire un jeu sur absolument tout ce qui me passe par la tête. Une couleur, le thème du sucre, une fable, une boîte mystérieuse… Je peux réellement expérimenter et c’est justement ce qui est apprécié par les joueurs.
Qu’est-ce qui caractérise le slow gaming en général et vos créations en particulier ?
Même dans les formats pour mobiles, on trouve un grand nombre de jeux axés sur la qualité graphique mais qui ne se soucient pas forcément des mécaniques ludiques et se démarquent peu les uns des autres. De façon générale, l’industrie privilégie les effets, investit beaucoup dans les graphismes et le show mais délaisse la créativité pure et le système qui sous-tend chaque jeu. Le slow gaming consiste à bousculer tout cela et à mettre en avant les aspects innovants et artistiques.
Qui sont les adeptes du slow gaming ? Quel est leur profil type ?
Le slow gaming consiste en une approche alternative du jeu vidéo. Il s’adresse d’abord à un public différent, qui n’est pas forcément un public de gamer – des personnes de tous les âges et de tous les horizons téléchargent mes jeux par exemple. Il part d’une approche plus adulte, en favorisant une progression à un rythme personnel, sans créer des frustrations ou des défis trop poussés. C’est une sorte de méditation par le jeu, sans forcer l’addiction, en laissant des espaces de respiration. Je conçois mes jeux comme des puzzles dont on découvre les règles au fur et à mesure. Je ne donne pas d’instructions, tout doit toujours être auto-explicatif. J’ai surtout envie que les gens éprouvent un sentiment de satisfaction en jouant, qu’ils aient envie d’aller plus loin à leur guise.
Vous mettez aussi en valeur les jeux d’autres concepteurs sur votre blog, pourquoi ?
Le slow gaming est une forme de contre-culture ou d’avant-garde. Entre concepteurs, nous partageons des valeurs et une certaine vision du paysage vidéoludique. Il y a une vraie collégialité et une émulation entre nous tous. Sur mon blog, je parle des jeux indépendants qui me séduisent et j’essaye de faire connaître le travail de mes collègues du monde entier. Il n’y a pas vraiment de concurrence mais plutôt un effet de renforcement vis-à-vis du grand public.
Le dialogue avec les joueurs est également important à vos yeux ?
Les notes données par les utilisateurs sont essentielles pour les créateurs de jeux indépendants. Ce sont elles qui vont nous donner de la visibilité dans l’App Store ou le Google Play Store. Elles vont influer sur le référencement et donc sur le nombre de téléchargements potentiels. Pour ma part, je suis de très près les notations et surtout les commentaires. Je réponds moi-même aux remarques et aux éventuelles critiques. Cela me permet aussi d'établir un dialogue avec la communauté des joueurs, de comprendre leurs attentes et d’adapter également mon travail en fonction de leur ressenti.