Dans le monde de l’horlogerie, le succès du designer anversois Benoît Mintiens connaît une amplitude internationale grâce à sa marque Ressence, aussi originale que séduisante. À l’exception des bracelets, chaque pièce est produite en Suisse. Ses boîtiers de montres méritent donc pleinement leur gravure « Made in Switzerland ». Mais malgré ce label, Benoît Mintiens occupe une place à part dans le microcosme horloger classique à Genève et dans les environs. Chacune de ces montres Ressence est unique, comme en témoignent la technique, l'esthétique ou encore la touche anversoise stylisée en guise de logo.
Une Ressence est un cadeau pour soi-même
Benoît Mintiens n'est pas horloger de formation : il a étudié le développement de produits. De 1998 à 2010, il a travaillé au sein de l'agence de design Enthoven Associates à Anvers, qui s'appelle désormais Yellow Window. Là-bas, il a notamment dessiné des TGV pour la SNCF, des intérieurs d'avions pour Air France, des poussettes pour Maxi-Cosy, des aspirateurs pour LG et des fusils pour Browning. « Je dessinais tout, du plus grand objet au plus petit », se rappelle Benoît. « J'ai même conçu la fameuse boîte de bonbons à la menthe Frisk. Je tiens à préciser que je suis un concepteur de produits, et pas seulement un passionné de montres. Cependant, après avoir visité un salon de l'horlogerie extrêmement luxueux à Bâle en 2010, j'ai été tellement déçu par le manque de créativité que j'ai décidé de commencer à concevoir moi-même des montres. Les stands avaient beau exposer des modèles valant des millions d'euros, je n’y décelais pratiquement aucun signe de conception innovante. Tout tournait autour de l'image de marque. Et c'est logique : beaucoup de personnes affichent une marque coûteuse à leur poignet pour illustrer leur réussite. Une Ressence, en revanche, est quelque chose que vous achetez pour vous-même, pas pour impressionner les autres. Une Ressence, c'est une question d'identité et peut-être un peu de statut social - vous portez quelque chose que l'autre personne ne connaît pas -, mais cela concerne beaucoup moins le statut financier. »
Le choix du « design thinking »
Ressence signifie la renaissance de l'essentiel. À quoi ressemblerait une montre si la haute horlogerie n'avait été inventée qu'au 21e siècle ? Benoît Mintiens répond à cette question : « Je conçois des montres selon la méthode du design thinking. Celles-ci doivent être fonctionnelles, originales et proposées à un prix relativement raisonnable pour le segment haut de gamme. Les autres montres - comme de nombreux produits - sont conçues de l'intérieur : d'abord le mécanisme, puis le boîtier et le cadran, ensuite le verre et enfin le bracelet. Personnellement, je me demande d'abord ce que quelqu'un attend d'une montre, à quelle époque et dans quel contexte il vit. Par conséquent, les montres Ressence n'ont par exemple pas de couronne pour régler l'heure. Ces éléments entravent le processus créatif. Une couronne, c’est pour les ingénieurs, pas pour les designers. J'ai cependant gardé les aiguilles mécaniques, car elles créent de l'empathie. Pour créer de l'empathie, vous devez comprendre le produit, la situation ou l'autre personne, ou comment ces derniers se composent. C'est pourquoi les appareils numériques cassés sont jetés, alors que les appareils mécaniques qui tombent en panne sont souvent conservés. »
Aux antipodes du classicisme à la Suisse
Vous venez de le lire : une Ressence ne possède pas de couronne classique. Afin de la remplacer, le choix s’est porté sur une technologie... 100 % digitale. Pour cela, Benoît a fait appel à Tony Fadell, inventeur de l'iPod et fondateur de Nest Labs, qui fait désormais partie de Google. L’horloger belge explique ce choix : « Incorporer de l'électronique dans une montre mécanique est un tabou absolu en Suisse. Je ne pouvais donc absolument pas me tromper avec mon e-Crown. Tony Fadell m'a tout appris sur la gestion de l'énergie : comment s'assurer que la montre génère suffisamment d'énergie pour que la Couronne électronique fonctionne parfaitement ? Comme je ne pouvais pas compter uniquement sur l'énergie du mouvement et qu’une montre mécanique est déjà remplie de composants, ajouter une grosse batterie n'était pas une option envisageable. Finalement, la montre est accompagnée d’un pod doté de mini panneaux solaires intégrés super puissants de Sharp sur lesquels vous devez laisser votre montre toute la nuit toutes les trois semaines pour la recharger. »
De par sa conception ingénieuse, la Ressence Type 3 a logiquement remporté le prestigieux prix « Horological Revelation » au Grand Prix d'Horlogerie de Genève en 2013. Une reconnaissance bienvenue pour Benoît : « Cela nous a certainement donné beaucoup de visibilité, mais je sais déjà que je ne gagnerai plus jamais ce prix. C’est une belle récompense du monde de l'horlogerie suisse. Comparez cela aux Oscars : pour obtenir une telle statuette, il faut appartenir au cercle restreint d'Hollywood. Et si j’ai pu être couronné en tant que Belge, c’est très certainement grâce à Philippe Starck, membre du jury, qui avait promis de faire un esclandre si je ne le gagnais pas avec un design aussi innovant. »
Type 3 BBB : valve en carbone noir
La dernière nouveauté de la gamme huilée Type 3 est la version BBB et sa noirceur assumée. « Les composants de la BBB ont été recouverts d'une couche de carbone noir, mais l'huile est tout aussi incolore », détaille Benoît Mintiens. « Pour vous faire une idée, imaginez une pierre qui semble plus foncée lorsque vous la plongez dans l'eau. Grâce à l'huile, les fissures entre les pièces apparaissent aussi noires que les pièces elles-mêmes, ce qui produit un effet uniforme et lisse. »
Type 8 : la pureté essentielle
Avec la Type 8, qui vient d'être présentée au salon Watches & Wonders à Genève, Ressence propose un modèle d'entrée de gamme… en accord avec les standards de la marque. Ce modèle coûte en effet 13 500 euros, alors que la Type 3 BBB représente par exemple un investissement de 39 400 euros. « Avec la Type 8, j'essaie de faire entrer plus rapidement les gens dans l'univers Ressence », justifie Benoit Mintiens. « Cette montre capture l'essence de Ressence. Les réactions observées à Genève sont déjà formidables. Alors que les magasins commandaient d'habitude trois à cinq exemplaires d'un modèle, ils ont demandé cette année combien ils pouvaient en acheter au maximum. Ressence sera ainsi en mesure de changer d'échelle, également en termes de réseau de distributeurs. En 2021, nous avons livré 400 montres. Grâce à la Type 8, nous pourrons peut-être doubler ce chiffre en 2022. »
Et au-delà de cette projection réjouissante, que faut-il attendre de Ressence dans un futur proche ? « Notre prochain modèle sera une nouvelle montre à huile », révèle déjà Benoit Mintiens. Pour ce créateur innovant, on ne peut plus parler de quart d’heure de célébrité ou d’heure de gloire. L’avenir de l’horlogerie continuera de se dessiner avec lui et sa vision unique de notre temps.